Le 17 mars, aux alentours de 20 heures, les Belges ont les yeux rivés sur les écrans, qu'ils soient de télévision, de téléphone mobile, de tablette ou d'ordinateur. L'heure est grave et après les exemples de l'Italie, de l'Espagne et de la France, la population comprend qu'on ne luttera pas contre le SARS-Cov2 et la maladie qu'il entraîne, le COVID-19, sans adopter des mesures drastiques et liberticides.
Un peu plus tôt dans cette journée qui demeurera probablement à jamais gravée dans l'histoire de notre pays, la Première ministre avait en effet annoncé qu'un important Conseil National de Sécurité élargi aux Ministres-présidents se réunirait avec, sur la table, la question du confinement de la population.
Et c'est sans surprise qu'après celui du 9 mars en Italie, celui du 15 mars en Espagne et celui du 17 mars en France, Sophie Wilmès annonce, depuis le « Bunker », que la population belge passera elle-aussi par un confinement et ce dès le mercredi 18 mars à midi.
Confinés mais pas sans papiers...
Si la communication gouvernementale semblait claire dans bon nombre de cas, elle l'était nettement moins en termes de restriction de l'activité des administrations communales. Ce manque de clarté renvoyait dès lors vers une certaine autonomie communale, bien que bridée par une essentielle distanciation sociale, dans l'organisation de la continuité du service public.
Et parmi les missions des communes, s'il en est une dont le caractère essentiel ne souffre aucune discussion, c'est bien celle ayant trait au droit de séjour de leurs administrés inscrits aux Registres des étrangers et d'attente.
Et cela n'est pas sans poser problème puisque si, d'une part, la précarité, qu'elle soit substantielle et/ou simplement temporelle de leur droit de séjour, s'accommode difficilement d’un confinement, d'autre part, l'organisation des services « étrangers » s'accommode quant à elle assez mal avec l'indispensable et obligatoire distanciation sociale.
Dès lors, afin de permettre aux communes de retrouver une réelle et réaliste autonomie organisationnelle de ses services étrangers, il était indispensable que l'administration fédérale, incarnée par l'Office des étrangers, se positionne sur le plan de la mise en œuvre des droits de ces personnes. C'est donc dans ce contexte que le Service d'Appui aux Partenaires Externes communiquait, dès le 19 mars, une première note reprenant les recommandations aux communes.
Des réponses...
En tant qu'administration, le législateur n'a pas tenu à donner un visage humain à « l'OE » comme on dit dans le jargon. Les dossiers sont analysés sur papier, sans contact avec les administrés, condition sine qua non d'une application stricte d'une législation aux conséquences individuelles parfois dramatiques. Les parcelles d'humanité affichée par l'institution sont souvent l'unique fait de ses collaborateurs qui acceptent ou pas de les lui donner. Les cris, les pleurs, les émeutes mais aussi, soyons honnêtes, les joies et les satisfactions sont l'apanage exclusif des communes.
Mais, cette fois, face à une crise d'une ampleur inédite, pour les administrés mais aussi pour ses « collaborateurs décentralisés » que sont les agents communaux, l'Office des étrangers se devait de dévoiler un visage tout aussi inédit.
C'est donc pour répondre à cette double exigence de protection que la recommandation du 19 mars, plusieurs fois mise à jour depuis lors, fait la part belle à une gestion « électronique » de la crise.
Pour le court séjour...
C'est notamment le cas au niveau des demandes adressées aux différents services du court séjour. Si nous passerons sous silence l'anecdotique déclaration d'arrivée, on saluera tout de même la possibilité offerte aux bénéficiaires d'un séjour n'excédant pas 90 jours et arrivé à son échéance d'en demander la prolongation, qui, techniquement, n'en est pas une mais bien une autorisation exceptionnelle de demeurer sur le territoire, par courrier électronique.
L'Office des étrangers s'aventure même plus loin en reprenant partiellement le rôle des communes puisque cette autorisation exceptionnelle pourra même être demandée directement par le demandeur au service suivi du court séjour.
Dans le même ordre d'idée, le citoyen dont le séjour arrive à échéance et qui ne compte pas le renouveler mais qui, en raison des circonstances, se retrouve coincé sur le territoire national, pourra demander une autorisation exceptionnelle et la recevoir par courriel.
...comme pour le long séjour !
Bien que ces mesures sur le court séjour soient relativement importantes pour les citoyens qu'elles concernent, là où l'Office des étrangers était davantage attendu par les administrations communales, c'était avant tout sur le terrain du long séjour et notamment sur celui du renouvellement des différents titres de séjour. A cela une raison simple, les conséquences attachées à la péremption d'un titre de séjour peuvent être désastreuses et cela concerne des centaines de milliers de personnes à travers la Belgique. Le sentiment d'insécurité d'une personne en possession d'un titre de séjour périmé ajouté à celui anxiogène de la crise sanitaire peut pousser les titulaires à des comportements mettant en péril leur vie mais également la santé publique.
L'Office des étrangers l'a bien compris et ici aussi, des procédures de substitution voient le jour. Toutes les catégories de titres de séjour se retrouvent couvertes par la possibilité, pour le citoyen, d'en demander le renouvellement par courrier électronique et, en cas d'accord sur ce dernier, de se voir délivrer électroniquement et selon le cas, des annexes 15, 49 ou 8 sous forme de PDF. Cette procédure ne peut qu'évidemment être saluée puisqu'elle dispense un nombre conséquent d'administrés de courir les rues en quête d'une place dans les files d'attente des administrations.
En ce qui concerne les nouvelles demandes, et c'est plutôt interpellant, l'Office des étrangers permet une introduction des demandes par voie électronique, que la demande concerne un citoyen européen, un citoyen non européen ou même un regroupement familial. Interpellant car ces demandes, qui ont pour corollaire une nécessaire inscription au Registre national, doivent toutes être, bien qu'à des moments différents et avec des conséquences différentes, confirmées par une enquête de résidence.
Les enquêtes de résidence : la mise entre parenthèses de la règle de droit
A ce sujet, les recommandations nous renvoient vers la circulaire de la Direction Générale Institutions et Population du 24 mars concernant les mesures administratives assouplies exceptionnellement et provisoirement, laquelle réduit drastiquement les cas dans lesquels les enquêtes de résidence seront encore satisfaites. Toutefois, cette même circulaire offre également des possibilités alternatives (contrat de bail, ouverture de compteurs auprès des fournisseurs d'énergie, titre de propriété...) pour domicilier les demandeurs à la condition d'effectuer une vérification réelle à posteriori.
La mise entre parenthèses de la vérification de la résidence, qui, rappelons-le, constitue l'élément crucial de la compétence des communes en la matière, va jusqu'à permettre la délivrance d'une attestation d'immatriculation et même l'enregistrement de cette dernière au Registre national sans savoir si oui ou non l'étranger demeure bel et bien sur le territoire. Bien que justifié par l'urgence sanitaire, nous assistons donc, par l'intermédiaire d'une circulaire et d'une recommandation à un renversement complet des principes édictés par les lois du 19 juillet 1991 relative aux registres de la population et aux cartes d'identité et du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers.
Les régularisations ne sont plus oubliées...
Alors que dans la première version de ses recommandations, l'Office des étrangers n'avait pas abordé la matière des régularisations, sa dernière version s'est penchée sur le sujet.
C'est sans surprise qu'ici aussi, on retrouve la confirmation de l'application des exceptions à la règle de droit prévues dans les autres procédures à savoir :
- l'utilisation du courrier électronique, que ce soit pour l'introduction des demandes ou pour les demandes de renouvellement ;
- les facilités offertes par la circulaire de la DGIP quant au minimum requis pour être considéré (provisoirement) comme résident.
Les notifications et le rétablissement de la règle de droit...
Alors que le courriel était au centre de toutes les mesures prises par l'Office des étrangers lorsqu'il s'agissait de consolider une demande ou un droit dans le chef du demandeur, il en va autrement dans le cadre de la notification de ses décisions.
En effet, dans ce cas, la loi du 15 décembre 1980 en son article 62§3 a pris soin d'énumérer limitativement les différents modes de notification et sa lecture révèle que le courriel n'en fait pas partie. Dès lors, plutôt que de s'exposer à une immanquable censure de la part du Conseil du contentieux des étrangers en cas de recours contre sa décision, l'Office des étrangers a préféré écarter explicitement la possibilité de recourir à cette méthode.
Pour les communes, la notification s'effectuera donc soit en personne, soit par pli recommandé. On s'interroge tout de même sur la possibilité laissée par ces recommandations de notifier par pli ordinaire puisque dans ce cas, il pourrait être compliqué d'établir une date certaine et surtout opposable à la personne notifiée.
Et après, que restera-t-il de tout ça ?
Alors que la sortie de confinement commence à truster les premières places des informations, mais qu'elle n'est encore qu'un rêve qu'en ces premiers beaux jours la population a besoin de caresser, l'Office des étrangers a doté les communes de recommandations qui leur permettent de rassurer leur population étrangère tout en permettant à ses administrés de se confiner et ainsi d'éviter la propagation du SARS-COV2.
Tout n'est pas parfait et à l'heure d'écrire ces lignes, on regrettera que quelques errances du passé puissent aujourd'hui encore parasiter certaines relations.
On citera par exemple la méconnaissance par de nombreux acteurs (mutuelles, banques, hôpitaux...) des annexes légales, comme l'annexe 15 ou pire encore, l'annexe 8, l'équivalent papier de la carte électronique pour européens, ce qui pousse fréquemment leurs titulaires à ne finalement pas pouvoir s'en satisfaire.
On pourra aussi regretter que le mail par lequel nous sont parvenues ces recommandations et qui conseillait de prolonger les attestations d'immatriculation des étrangers qui devaient ou voulaient travailler relevait également que l'Office des étrangers ne pouvait garantir que cela suffirait puisque cette question dépendait du SPF Emploi, Travail et Concertation Sociale. Une fois de plus, l'épisode met en lumière un manque de concertation dans une matière éclatée entre les différentes entités fédérées et qui, à l'instar de la situation s'étant produite lors de l'adoption de la réglementation sur le permis unique, crée de la confusion et de l'incertitude pour les administrés comme pour les agents communaux.
Mais à l'heure d'écrire ces quelques lignes, l'enjeu majeur pour les communes n'est pas la réflexion sur ces manquements puisqu'elles ne sont de toute manière que très rarement consultées et encore plus rarement associées à ces réflexions. Non, aujourd'hui, l'enjeu majeur des communes sera d'anticiper la manière de gérer l'après crise.
Comment pourrons-nous faire face aux nécessaires vérifications ? Vérification de la réalité de la résidence, vérification de l'identité des personnes à qui les annexes ont été délivrées... ? Comment ferons-nous face aux demandes simultanées de production des titres de séjour qui n'auront pas été délivrés ou renouvelés ? Comment notifierons-nous toutes les décisions retenues parce que ne présentant pas une urgence impérieuse ? Comment ferons-nous face à l'afflux de travailleurs européens qui, une fois les frontières rouvertes, pourront d'un seul coup reprendre la route de l'eldorado tant convoité ? Comment pourrons-nous gérer un possible afflux de personnes poussées sur les routes par les désastres causés par la pandémie ? Comment notifierons-nous toutes les instructions de l'Office des étrangers ? Comment ferons-nous pour gérer toutes ces demandes avec des employés qui, dans la plupart des communes, disposeront encore de la quasi-totalité de leurs congés ?
Ces questions ne devront pas trouver des réponses lorsque tout cela sera derrière nous, elles doivent les trouver maintenant. C'est aujourd'hui, ensemble, que les idées doivent germer. L'ingéniosité dont les communes doivent souvent faire preuve sera soumise à rude épreuve. Le défi sera de taille et la réponse devra être collective et concertée entre tous les niveaux de pouvoir.
Avant d'être confinés, nous avons vécu cloisonnés, mais le cloisonnement a vécu et aujourd'hui, plus que jamais, il faut y mettre fin. Les communes devront être entendues mais elles devront aussi entendre l'Office des étrangers.
Pour conclure, je me souviendrai qu'en 2017, en compagnie de Madame Dominique Vaeye, la présidente du GTI19, nous avions eu l'opportunité de rencontrer Monsieur Freddy Roosemont, le Directeur général de l'Office des étrangers. A l'époque, il avait été question de la refonte de la législation sur le droit des étrangers dans un code mais aussi d'une informatisation accrue de la relation entre l'Office des étrangers et ses administrés. Trois ans plus tard, pour des raisons mêlant des enjeux politiques, électoraux et budgétaires, ce projet n'a toujours pas abouti. Mais alors qu'on parle de la possible accélération de la fréquence des épidémies, il est temps de réfléchir à un système qui permettra aux uns et aux autres de survivre à ces crises.
En 2020, il ne paraît pas impensable que le citoyen étranger ait à sa disposition un outil informatique lui permettant de survivre administrativement sans pour autant devoir se déplacer. Il ne paraît pas insurmontable de repenser le travail des uns et des autres. Les communes ne demandent pas nécessairement à avoir moins de travail, les communes demandent de la clarté, de la compréhension et des outils performants.
A l'heure ou le service public reprend vie, espérons que les acteurs gouvernementaux n'oublieront ni les communes, ni ses citoyens précarisés.